Résumé
Bisignano Mara, IDHE- CNRS, Paris Ouest Nanterre
La mutation des modalités d’organisation de l’activité productive et de travail appelle implicitement à des reconfigurations des formes de domination au sein desquelles les mécanismes de contrôle se reproduisent à l’abri de formes nouvelles de justifications. Indubitablement, le contexte de crise économique actuel permet de réinterroger de nouvelles sources de domination mais également des formes inédites de résistance plus ou moins médiatisées
Dans ce contexte, la régulation de l’emploi pourrait devenir un objet de négociation central au sein d’une dialectique oscillant entre d’une part, le besoin d’une flexibilité accrue des organisations et, d’autre part, la protection de l’emploi assise sur la sauvegarde des postes de travail pour les salariés.
Cependant, face aux nouveaux impératifs de l’entreprise visant à imposer une réduction drastique du volume de la main-d’œuvre ainsi qu’un réaménagement de l’organisation du travail, est-il réaliste d’envisager des formes d’opposition collectives visant à contester l’inéluctable ? Autrement dit, quelles possibilités, quelles stratégies s’offrent aux salariés pour se soustraire à l’inévitable réorganisation imposée par l’autorité hiérarchique ? Ou encore, de quelle manière ces stratégies collectives finissent-elles par obtenir le consensus ou se heurter aux pratiques individuelles ? Enfin, comment ces stratégies influent sur les rapports de domination et quelles en sont les conséquences sur l’organisation du travail ? Lorsque cette dynamique finit par s’imposer sur les lieux de travail, les orientations prises par l’autorité hiérarchique varient d’une entreprise à l’autre selon une série de variables conjoncturelles et structurelles.
La présente communication se propose de questionner les effets au niveau organisationnel d’un dispositif de réduction du temps de travail spécifique au cas italien, à savoir le contrat de solidarité. Ce dispositif, interne à l’entreprise, tout en prévoyant une réduction de l’activité de travail ne peut pas s’assimiler au chômage partiel (réf. cassa integrazione guadagni ) en raison de son caractère fortement négocié et contingent à l’entreprise. Lorsque cette dernière annonce une réorganisation productive pouvant aboutir à une réduction de la main-d’œuvre au sein d’une unité productive, les salariés peuvent par l’intermédiaire de leurs délégués syndicaux faire appel au contrat de solidarité. Pour que cet accord soit valide il est impératif d’obtenir l’adhésion de l’employeur. Or, la conclusion d’un tel contrat est loin d’être anodine car l’employeur (et/ou la direction) est contraint d’accepter une limitation dans ces prérogatives : interdiction de licenciement, redistribution des tâches de travail au sein d’une même unité productive, distribution de l’horaire de travail, etc.
A l’aune de ce dispositif, cette communication interrogera l’entreprise, en tant que lieu privilégié pour expérimenter des formes de résistance collective en réponse aux nouvelles contraintes organisationnelles qui s’imposent aux salariés parfois sous « une allure de fatalité ». Les entreprises légitiment par l’état de crise économique un choix inévitable de réduction du volume d’emploi qui s’impose aux salariés. Or, ces derniers, par le biais de stratégies collectives (dans le cadre du contrat de solidarité), pourront essayer d’infléchir l’orientation prise par l’employeur en acceptant entre autres, des dérogations salariales.
Certes, si l’émergence de ces formes de résistance ne conduit pas nécessairement à une coopération ou une homogénéité de stratégies ou de pratiques au sein des groupes de travail, celles-ci pourraient être également sources de conflit et d’éclatement pour ces mêmes groupes face à l’autorité hiérarchique. Dès lors, l’on pourrait questionner les bases sur lesquelles ce dispositif participatif s’affirme tant au niveau de l’organisation que des salariés.
S’agissant de la méthodologie d’enquête retenue pour l’analyse, une démarche qualitative a été privilégiée. Les résultats mobilisés s’appuient sur quatre monographies d’entreprises du secteur industriel réalisées entre 2009 et 2011 en Italie dans la région Lombardie. Pour cela, des entretiens menés auprès de salariés et de délégués syndicaux seront notamment mobilisés.
De l’exploitation de ces matériaux, deux principaux résultats seront présentés. Premièrement, nous verrons comment les formes de résistance collective limitent fortement les espaces d’expression et les stratégies individuelles. Deuxièmement, nous constaterons les conséquences organisationnelles de l’application d’un tel contrat sous le prisme des « contenus » et des compétences au travail.